La Quarantaine du staatslabor - un échange avec l'ancien président de la Confédération Pascal Couchepin

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Définir l’objectif, ne jamais le perdre de vue et se donner les moyens de l’atteindre. Cette méthode de gestion de crise, le radical valaisan Pascal Couchepin l’a expérimentée puis confirmée des vignobles valaisans au sauvetage d’UBS. Actuellement, l’ancien président de la Confédération aborde l’épidémie avec sérénité et reste proche des choses essentielles.

 


Pascal Couchepin est un homme politique suisse, membre du Parti libéral-radical. Élu conseiller fédéral en 1998, il occupe par deux fois le poste de président de la Confédération suisse, en 2003 et 2008.


 

Partie 1 - Un quotidien en temps de crise du coronavirus

1) Quel regard général portez-vous sur cette étrange période que nous vivons actuellement?

Effectivement, c’est une période étrange, qui nous surprend. Je constate que beaucoup de personnes voudraient y voir le résultat d’éléments rationnels, la mondialisation en particulier, mais je crois qu’on redécouvre que la vie est faite d’imprévus. Celui-ci est particulièrement frappant, il ne nous laissera pas semblable à ce que nous étions avant. Je ne pourrais pas dire en quoi, mais il est certain que quelque chose va changer en nous.

2) Comment vous sentez-vous aujourd'hui?

Aujourd’hui, il a fait beau. Demain matin, je vais me promener en forêt avec mon épouse et un ami qui a terminé le coronavirus - il a passé ce cap. On va donc jouir de la forêt assez tôt le matin pour ne pas rencontrer grand monde.

3) Qu'est-ce qui vous donne force et courage?

Je trouve que j’ai traversé des périodes plus difficiles, plus angoissantes que celles-ci dans ma vie. J’ai bientôt 80 ans. Je ne veux certainement pas dire que j’ai fait ma vie et que je la quitterai volontiers, j’ai du plaisir à vivre. Mais c’est quand même moins grave si je tombe sérieusement malade maintenant qu’à l’époque où j’avais mes trois enfants à élever.

4) Quel est votre coin préféré de la maison en ce moment?

Celui où je me trouve actuellement, mon bureau. C’est ici qu’avec mon ordinateur notamment, je suis en contact avec des amis, je m’informe sur des sujets intéressants. Et je vais aussi volontiers sur le balcon profiter du soleil.

5) Comment gardez-vous le contact avec votre famille et vos amis?

Par téléphone ou par mail. J’ai aussi la chance d’avoir mes enfants et petits-enfants qui viennent de temps en temps dans le jardin. On se parle de loin et on échange des signes. Finalement, c’est assez charmant. Je suis loin d’être défavorisé, je regrette simplement de ne pouvoir les embrasser.

6) Que faites-vous dans les moments où “cela commence à bien faire”?

Cela n’arrive pas souvent. Et le cas échéant, même avant la pandémie, j’avais développé des techniques. Je reprends des livres qui me forcent à me concentrer. Et si je suis fatigué, je prends le temps de faire une sieste, je rêvasse - ou je médite si on veut utiliser un terme plus noble.

7) Avez-vous profité de cette situation pour réaliser quelque chose que vous aviez remis à plus tard?

Toute ma vie, j’ai eu le sentiment d’être en retard dans la lecture de livres, dans la discussion de certains problèmes ou dans l’élaboration de ma conception du monde. Donc oui, j’ai lu, mais je ne peux pas dire que j’ai fait des choses extraordinaires. Certaines personnes profitent de cette situation pour mettre de l’ordre dans leurs affaires personnelles. Moi, je continue à laisser pas mal de désordre sur ma table de travail. C’est une affaire de tempérament.

 


Intermède - Questions plus légères

8) Chant des oiseaux ou réveil matin? Chant des oiseaux. Je déteste le réveil matin, je n’en ai plus utilisé depuis 50 ans. Quand il y en a un, j’ai l’impression d’être de retour à l’école de recrue. Là-bas, on nous réveillait à coups de pieds contre la porte avant de crier: “Diane debout !” Les oiseaux sont beaucoup plus polis.

9) Presse nationale ou internationale? Les deux. Je commence par la presse régionale puis la presse romande et ensuite la NZZ. Je lis aussi le Financial Times.

10) Réseaux sociaux ou pas trop? Pas du tout. Je trouve qu’il y a beaucoup de ressentiment, de réflexe de rejet sur les réseaux sociaux et que cela n’apporte pas grand-chose à la société.

11) WhatsApp Call ou téléphone? Téléphone.

12) Essais ou romans? J’essaie de lire des deux. Actuellement, mon fils m’a prêté des bandes dessinées qui reprennent l’histoire de célèbres romans de la littérature française. Hier soir, j’ai lu l’adaptation de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo en bande dessinée. L’autre jour, c’était Robinson Crusoé. Il paraît qu’il y en a une trentaine alors j’ai encore de la réserve.

13) Entrée-plat-dessert ou pain-fromage? Entrée-plat-dessert. J’ai la chance d’avoir chaque midi pu prendre le temps de manger non pas quelque chose d’extravagant, mais toujours avec du goût et de la couleur.

14) Chaise longue ou balades en forêt? Clairement balade en forêt. J’habite près d’une forêt où il y a pas mal de chemins que je parcours depuis ma jeunesse. C’est là que je me ressource.


 

Partie 2 - Expériences en situation de crise

15) Avez-vous traversé une crise particulièrement grave dans votre vie professionnelle?

D’un point de vue professionnel, la crise la plus importante que j’aie été amenée à vivre s’est déroulée entre 1985 et 1986. En juin 1985, sauf erreur, je suis entré au conseil d’administration d’une société viticole assez importante en Valais. Quelques mois plus tard, on a constaté qu’elle se trouvait dans une situation financière grave. À la demande du créancier principal, une banque, j’ai pris la présidence du conseil d’administration. Nous avons visé le sursis concordataire. Je me souviens en particulier d'une assemblée obligataire dans laquelle régnait une atmosphère surréaliste faite de résignation ou d’animosité. À la maison, ma femme a même une fois reçu un téléphone à minuit lui disant que j’avais été assassiné.

Malgré cette atmosphère dramatique, nous avons tenu une ligne. Nous ne voulions pas que cette entreprise disparaisse, nous faisions cela pour sauver la viticulture. Cette expérience m’a par la suite été utile au Conseil fédéral, non seulement pour les connaissances juridiques acquises, mais aussi pour l’expérience en temps de crise et la volonté de maintenir un cap lorsqu’il est choisi.

16) Lors de ces crises, y a-t-il eu un moment où vous vous êtes senti dépassé?

Pendant la crise viticole, j’ai à plusieurs reprises eu le sentiment d’en avoir assez. Mais dès que je retrouvais le groupe qui travaillait à solutionner la crise, dès qu’on était ensemble, mes angoisses s’apaisaient et on finissait par trouver une solution. Je crois que s’entourer de gens de confiance, sur qui on peut s’appuyer, parler de ce qu’on ressent est essentiel pour trouver les solutions optimales.

17) Quel type de décisions ou d’actions étaient importantes à ce moment-là? Quels sont les étapes charnières?

Au début de la crise de l’UBS par exemple, le Conseil fédéral a défini l’objectif à atteindre. Il n’était pas possible de laisser disparaître cette banque. Il n'était ni souhaitable de la vendre, encore moins de la laisser aller en faillite, car cela aurait provoqué un tsunami financier en Suisse. L'objectif était connu, le Conseil fédéral a travaillé sur la base d'un plan qui avait été préparé par la Banque national suisse et le Département de Madame Widmer-Schlumpf qui avait remplacé Monsieur Merz alors hospitalisé. Mon travail a été de coordonner le choix des techniciens et les choix politiques dépendants du Conseil Fédéral que je présidait cette année-là.

18) Quelle type de trace laisse une crise?

Dans les crise que j'ai vécues et dans lesquelles j'ai été actif, on a toujours pu aboutir à des solutions proches de celles souhaitées au départ. Cela signifie que le plan était bon et que la mise en oeuvre s'est faite de manière rationnelle et cohérente.

19) Y a-t-il une manière helvétique de gérer des crise?

Non, je ne crois pas. Bien sûr, le tempérament suisse est différent de celui d’autres cultures mais il n’y a pas de manière helvétique de gérer une crise. Pour surmonter tel ou tel événement, il faut savoir où se diriger, y aller avec détermination et si possible imaginer tous les obstacles qui peuvent empêcher la réussite du plan en tentant d’anticiper un maximum.

20) Et une manière valaisanne?

Encore moins, mais je crois en revanche qu’il y a un tempérament valaisan. Et en tant que valaisan, je suis particulièrement sensible à l’aspect amical et à la chaleur humaine lorsque je travaille en équipe. Avoir la liberté de dire ce que je pense et développer une relation de confiance avec mes collaborateurs est d'autant plus important pour moi en période de crise.

 


Intermède bis - Questions plus légères

21) Félix Vallotton ou Edmond Bille? Edmond Bille.

22) Désalpe ou fête des vendanges? Fête des vendanges.

23) 1291 ou 1848? 1848 certainement, comme bon radical!

24) Alain Morisod ou Bastien Baker? J’ai eu la chance de passer une soirée avec Bastien Baker et d’apprécier sa personnalité. C’était très sympathique, il a donc ici ma préférence. Ce n’est pas que je mets Alain Morisod en arrière-plan, mais je le connais moins bien.

25) Conseil national ou Conseil des États? On a besoin des deux car on est dans un système bicaméral.

26) Landi 1939 ou Expo.02? Expo.02 car c’est un évènement que j’ai coordonné en tant que chef du Département fédéral de l’économie depuis 1998, moment où il y avait une crise au sein du comité d’expo.

27) Berne ou Genève? Bien que j’adore Genève, Berne car j’y ai passé des années.

28) ONU ou WEF? Ne les opposons pas! Mais s’il fallait choisir, l’ONU.


 

Fin d’entretien: Perspectives

29) Qu'est-ce qui est politiquement important pour faire face aux conséquences de la situation exceptionnelle que nous traversons actuellement?

Dans l’état actuel des choses, je pense que la crise est globalement bien gérée. Mais je suis d’avis qu’il est maintenant grand temps de rétablir le fonctionnement normal de la démocratie. Tant les chambres fédérales que le Grand Conseil valaisan doivent se réunir. Il faut qu’ils analysent les solutions préconisées, qu’ils émettent des critiques si nécessaire, et surtout, il faut qu’ils soient libres d’approuver ou de critiquer. L'aspect financier m'inquiète un peu pour le futur. On doit faire le bilan des décisions prises, vérifier leur conformité légale, et préparer l'avenir en tenant compte de ce qui a marché et de ce qui a moins bien marché.

30) Quelles décisions doivent maintenant être prises pour faire face aux conséquences sociales de cette situation actuelle?

Je pense que les bonnes décisions sont celles qui viennent d’être prises. Permettre aux gens de travailler, de faire face à leurs obligations matérielles. Même si certaines personnes découvrent un certain plaisir au confinement, dans les retrouvailles familiales par exemple, d’autres au contraire en souffrent. Tous ne peuvent pas vivre dans une atmosphère extraordinaire comme celle-là. En prenant quelques risques malheureusement, il faut revenir le plus vite possible à la normale et aller vers le déconfinement.

31) De quoi vous réjouissez-vous le plus à la sortie de cette crise?

Je me réjouis de pouvoir dire, «aujourd’hui, je vais prendre un café sur la Place Centrale de Martigny, je vais y rencontrer telle ou telle personne. Demain, je peux prendre le train pour Berne, faire telle ou telle rencontre», et même si je le ferai pas de sitôt, pouvoir prendre ma voiture et aller faire un tour en Italie ou en France avec ma femme. Même si on ne le fait pas, en avoir la possibilité, ça ouvre l’horizon.